Brassens, une magie reparue
Un essai sociologique fait renaître la magie de la poésie chantée : Salvador Juan démontre en quoi (et dans quelle écriture) Brassens a tracé un portrait génial et inédit d’une certaine société française, composant, à sa manière provocatrice et quasi surréaliste, un tableau kaléidoscopique. L’auteur fait appel à Jean Duvignaud pour mettre en lumière une transgression des normes qui« porte aussi les germes de la résistance humaine et peut engendrer du changement social. »[1] ; à Edgar Morin pour éclairer la situation (complexe) de l’artiste au regard de la culture de masse ; à Elisabeth Badinter pour rendre compte d’une (bien regrettable) essentialisation de la femme, perceptible dans la plupart des textes : Brassens, pointe à ce propos une jeune sociologue, a toujours dépeint les femmes comme« appartenant à une « espèce à part », qui « n’entreront pas dans le club de l’amitié virile où tout est simple et beau, entre individus libres et égaux… »[2] S. Juan souligne quant à lui que le poète a pour essence de« capter et synthétiser l’esprit du temps… », sur ce sujet comme sur bien d’autres…
D’autres facettes, plus souriantes, de Brassens sont élégamment illustrées par d’abondants extraits de l’œuvre : son écriture facétieuse, au service d’un imaginaire puissant, génère des « pantalonnades »riches de sens ; sa méfiance salvatrice assassine les enrôlements suspects et les emportements idéologiques, quels qu’ils soient. L’auteur livre également une subtile analyse des problèmes infinis que posent aux traducteurs étrangers les textes ciselés de Brassens (et d’en montrer aussi les réussites, comme autant de preuves qu’un « traduttore » n’est pas inéluctablement « traditore »…) Le polisson de la chanson, très conscient des ressorts et de l’influence de son art, s’inscrit résolument dans une tradition littéraire, de Villon à Rabelais, Hugo et Aragon ; et l’analyse du discours à laquelle se livre l’auteur met en lumière ses trouvailles verbales innombrables, un art indiscuté de la concision et de la formule, pour parvenir très logiquement à cet énoncé de reconnaissance bien légitime :
“Le prix Nobel de littérature colombien Gabriel Garcia Marquez déclare en 1981 : « Il y a quelques années, au cours d’une discussion littéraire, quelqu’un m’a demandé qui était le meilleur poète contemporain en France. J’ai répondu sans hésitation Georges Brassens.”[3]
Salvador Juan, Sociologie d’un génie de la poésie chantée : Brassens, Le Bord de L’eau éditions, janvier 2017.
Gwenaëlle Ledot.
[1] page 81
[2] page 58
[3] Cité à la page 142 de l’ouvrage.
Chroniques 2017, Essais janvier 2017, Le Bord de L’eau éditions, Salvador Juan, Sociologie d’un génie de la poésie chantée : Brassens
Comments