« Un monde presque libre… »
Comment ce monde a-t-il pu naître et renaître, sous les pas puis sous la plume d’un pêcheur ? Reflets d’argent, libellules et truites, soleil dans l’eau, temps irisé… Émergence miraculeuse, estivale, qui, de l’aube à la nuit, permettra d’échapper à la vie telle qu’elle va (mal). La Taillide est la célébration d’un microcosme fragile et puissant qui autorisera, par l’eau, l’air et la lumière, le retour à soi. Le don cyclique à quelques initiés :
« Ma vie pouvait subir toutes les mutations, connaître l’usure, les désastres moraux, la réalité pouvait me paraître illicite et inacceptable, il me restait toujours le désir de descendre les gorges de l’Allier, en plein été, en plein soleil, en plein centre de ce qui me semblait une éternelle naissance, l’image même de la vie, alors que je croyais avoir tout perdu. »
« Toujours est-il que nous ne dormions pas »
L’espace de la Taillide est sans rapport avec l’ataraxie : l’entrée dans l’eau est un moment de contrôle, d’attention extrême à ce qui entoure, au monde exigeant des roches, des herbes et des courants. De plus, le petit royaume auquel prétend le pêcheur n’est pas exempt des paradoxes de la prédation : « Il s’agissait de rester à sa place, de ne pas exagérer, il me fallait convaincre chaque rivière de m’accueillir pour lui prendre quelque chose »
Ce monde naturel est par miracle aussi, celui d’une humanité retrouvée : noms de pays, noms de personnes, communauté de ceux qui pêchent ou de ceux qui vivent, simplement, dans le pays de Haute-Loire. On y prend le butin autorisé de la pêche, mais aussi un peu de vérité, un peu d’identité - échappant à un arrière-plan universitaire et amer, régi par la « soumission générale ». L’écriture, alerte et translucide, s’impose.
Alors, les rivières et les ruisseaux dessineront ce monde auquel on appartient vraiment ; où la coïncidence avec soi devient possible, dans une négociation douce et vigilante : « le sable avec l’eau, les rochers avec les herbes, la berge avec des vairons et les grenouilles, la menthe avec le limon. » Pour trouver sa petite place, harmonieuse et fluide, dans l’évidence de ce qui est.
Jean-Paul Rogues, La Taillide, Un pêcheur en Haute-Loire, Éditions Hauteur d’Homme, Val-près-Le-Puy, 2020.
Gwenaëlle Ledot.
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