Littérature - Chroniques littéraires
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Jean Echenoz
Auteur
Jean Echenoz est né à Orange (Vaucluse) en 1947. Prix Médicis 1983 pour Cherokee. Prix Goncourt 1999 pour Je m'en vais.
Source : http://www.leseditionsdeminuit.fr/auteur-Jean_Echenoz-1410-1-1-0-1.html


Jean Echenoz, Courir
Jean Echenoz, prix Goncourt 1999 pour Je m’en vais, a publié, aux éditions de Minuit, un roman biographique sur le coureur tchèque Émile Zatopek : Courir.
Étranges romans où les faits ne sont qu’un arrière-plan, où la vie devient simple décor. Chez Jean Echenoz, les personnages sont les mots. Émile, Chopin ou Salvador passent leur vie glissant, sans fin, sur les phrases de leur auteur.
Doucement ironique, l’écriture s’attarde sur un système velcro et un nez busqué ; volette d’une carte routière à une mouche violette. Un monde s’anime, précis et éthéré, piquant, léger ; un monde d’entomologiste, empli de flux rapides, de courants évanescents. Les personnages sont traversés par la vie, décidément plus forte qu’eux, et traversés par les mots. Habités par une odeur de chlore et un parfum de citron, absorbés éventuellement par une chevelure blonde, croisant des « phosphatines fantomatiques ».
L’ironie est partout présente, délicieuse et fluide ; partout, jusque dans l’existence étrange des Grandes Blondes (1995): « Précipiter un homme dans le vide étant de ces choses qui vous feraient oublier de vous démaquiller ». Le vide cotonneux et doux de la réalité permet toutes les fantaisies de l’écriture :
"Donatienne se distingue par le port de vêtements surnaturellement courts et miraculeusement décolletés, quelquefois en même temps si courts et si décolletés qu’entre ces adjectifs ne demeure presque plus rien de vrai tissu."
Petites bulles en plastique ou bulles de varech, l’écriture soufflée glisse et disparaît. Ses métaphores se multiplient : « Un vent électronique indifférencié, monochrome et lisse, tiède et sourd. » Un titre de roman : « How to disappear completely and never be found ». Ou bien le sommeil encore : « Écharpe grise, écran de fumée, sonate. Vol plané d’un grand oiseau pâle, portail vert entrouvert. Plaines. »
En cet automne 2008, le style d’Echenoz s’est incarné dans un homme, un homme qui court : Émile Zatopek, athlète de légende, est le héros de son dernier roman. Il court, et le style comme lui, épuré, volant vers l’essentiel. Émile, émouvant de simplicité, court sa quête tragique et banale, qui l’emmène ailleurs ; la banalité, toujours affleurant, dément les moments de grâce, les moments de course, de victoire. En contrepoint, l’Histoire, celle de la Tchécoslovaquie de l’époque communiste, la dénonciation et la terreur ignorée de l’Occident. L’amertume et l’obscurité soulevées, peut-être, par la grâce de l’écriture.
Jean Echenoz, Courir. Editions de Minuit, octobre 2008.
Gwenaëlle Ledot.